Ezra venait de passer l’été à travailler sur la préparation de ses cours, il avait été pris au lycée le plus cher de Rosewood et ses alentours. En fait, il avait passé tellement de temps à tout préparer, qu’il n’avait pas encore vraiment emménagé dans son nouvel appartement à Old Hollis. Pour être honnête, la bonne moitié de ses livres trônait dans un beau carton, lui-même planté sur un canapé bleu ardoise, lui-même se sentant un peu seul en tant que meuble du salon, n’ayant finalement pour seule compagnie une étagère boisé collé au mur, voisinant la petite fenêtre qui constituait la seule source de lumière naturelle de l’appartement. Faudrait que j’fasse un effort un jour, pensait Ezra à chaque fois qu’il jetait un ultime coup d’œil en sortant de sa garçonnière.

Sa formation de prof d’anglais avait touché à sa fin l’année précédente, et après avoir passé un mois à voyager un peu en Europe, le jeune homme était enfin vraiment décidé à travailler. La littérature le passionnait, et il en fit par conséquent sa matière. Les cours reprenaient dans moins d’une semaine, et il venait à peine de terminer son programme. Il était vêtu d'un pull malachite foncé, et un jean grisâtre qu'il gardait sans savoir vraiment pourquoi depuis plus de cinq ans. Ses cheveux n'étaient pas vraiment coiffés, mais ne semblaient pas non plus avoir été victime d'un attentat terroriste, ils étaient disons suffisamment ordonnés, avec quelques boucles qui lui tombaient négligemment sur le haut du front, mais le reste lui paraissait à peu près correct. Autant profité de mes derniers moments de liberté, se dit le futur professeur en redoutant déjà les piles de copies à corriger. Sur ces pensées pleines de bons sens, il prit son manteau, et se rendit au Snookers, un bar près d’Hollis, pas très chic, mais qui servait du scotch, l’alcool préférer d’Ezra, et puis, c’était surtout le bar le plus proche.

Dès qu’il entra, il eut comme un regret, l’odeur, mélange de transpirations, nourriture de fast-food et même de mort lui semblait-il, avait tout pour repousser n’importe qui. Se remémorant quelques bons souvenirs d’Europe, dont des parfums un peu moins agressifs, Ezra prit son courage à deux mains, et alla s’asseoir sur un tabouret, près d’une jeune femme aux cheveux châtains foncés.

"Un scotch" demanda-t-il avec un faux sourire.

Assise au comptoir, je remémorais mon voyage en Islande, mais surtout, je remémorais ce qui s'était passé avant ce voyage. Le pourquoi de ce voyage.
Cette femme, avec mon père, à l'arrière de sa voiture. Cette image qui restait gravée dans ma mémoire, qui ne voulait pas partir.
A chaque fois que je voyais mon père, je voyais cette image, à chaque fois que je voyais ma mère, je voyais cette image. J'étais déçue de mon père, ne le pensant pas capable de ça, et j'étais triste pour ma mère qui ne savait rien de cette histoire. Elle était encore bercée par l'illusion que mon père était un ange qui ne mettrait jamais un coup de canif dans le contrat, alors que cela faisait bien longtemps que la magie n'était qu'illusoire.

- Un burger s'il vous plait. demandais-je au barman.

Le jeune homme assis sur un des tabourets s'approcha alors de moi et commença à me parler.

La jeune fille avait l'air un peu morose, ce qui la rendait particulièrement attractive aux yeux d’Ezra. Son visage de poupée reflétait une certaine tristesse, et le jeune homme ne put y résister. Il tenta de rapprocher son tabouret du sien, comme si de rien n’était, mais l’horrible grincement qu’émirent les trois pieds rompit tout espoir de discrétion.

« Désolé, s’excusa-t-il avec un sourire gêné, … euh… ça va ? »

Il se trouvait ridicule, surtout le coup du tabouret "t’as quel âge bon sang", pensa-t-il en tentant de ne pas rougir de honte.

- Tu aimes bien The Fray ? s'étonna Ezra en se tournant vers elle.

Peu de gens connaissaient le vrai sens de cette chanson du groupe, et cette fille en faisait visiblement parti. The Hapiness racontait en effet le bombardement B 26, le savoir relevait tout d'abord d'une culture remarquable, ensuite d'un goût en musique des plus sûr, la jeune femme du bar regroupait-elle donc ces deux critères ?

- Oh tu es allé en Europe ? J'ai fais un tour à Reykjavik cet été, s'enthousiasma Ezra.

La belle souriait enfin, avait-il réussi à lui chasser ses soucis de la tête ?

- Super endroit, j'aurais aimé y passé un an aussi... T'es rentré aujourd'hui tu dis ? Pas trop dur le jet lag ? dit il en rigolant.

Il était vraiment surpris en fait, elle n'avait pas du tout l'air de sortir de 12 heures d'avion, elle était rayonnante, pas une cerne, magnifique...

- Ah oui, le déballage, j'en sais quelque chose, ou plutôt non en fait, j'ai emménagé dans un nouvel appart' à Old Hollis après avoir décroché mon diplôme, et j'ai rangé que mes vêtements depuis. Ça craint un peu...

Toi tu sais t'vendre ,se dit Ezra en regrettant déjà ses mots...

J'étais déjà pliée intérieurement, imaginant son appartement. Sa maladresse naturelle était craquante, j'avais envie de l'embrasser. Et puis, il avait compris sa connerie, du coup, il rougissait. Qu'est ce qu'il pouvait me plaire alors !
Je me promettais alors de réfléchir ce soir à une question : "Comment un homme pouvait-il nous faire tant d'effet au premier regard ?"

- Ahah, je comprends bien, je serais bien dans le même genre, mais j'essaye de faire attention. J'avoue que c'est parfois difficile de ranger.

Je pensais alors. "Bon, tu m'embrasses ou tu m'embrasses pas ?"

De la compassion, ouf ! Au moins, elle ne le regardait pas comme s'il était un môme de 12 ans. Le barman déposa le burger qu'avait commandé la jeune fille, devant elle, puis le scotch qu'avait commandé le futur professeur.

- Bon appétit ! lança-t-il en attrapant son verre.

Ezra prit une première gorgée de scotch. Verdict ? Tellement coupé à l'eau qu'on ne sentait presque plus le goût de la boisson, en fait, seule la couleur indiqué la vraie nature du contenu de ce verre. Le jeune homme reposa le verre doucement, et se tourna à nouveau vers la jeune fille. Il venait de réaliser qu'il ne s'était pas présenté, il lui avait dit où il vivait, ce qu'il avait fait cet été, qu'il avait eu son diplôme, mais son nom, à la trappe !

- Au fait... moi c'est Ezra,tenta-t-il de se rattraper avec un sourire en coin légèrement mouillé d'alcool dilué.

- Alors Aria, qu'es-ce que tu fais dans la vie, t'es à Hollis je suppose si tu traînes ici.

Il aimait bien ce prénom, et il aimait bien la fille qui le portait. S'il ne l'avait jamais vu sur le campus, c'était sûrement parce qu'elle venait de s'y inscrire, ou alors qu'elle était en sport étude, dont les bâtiments se trouvaient à l'opposé des spécialités littéraires. Ezra optait plutôt pour la première solution, Aria avait l'air cultivé, et n'était pas particulièrement musclé des épaules, pas en sport étude donc à première vue.

- Sérieusement ? C'était ma spécialisation aussi... lui dit-il en se rappelant, déjà nostalgique, les années qu'il venait de passer.

Il se turent un moment, se regardant tout les deux dans le blanc des yeux. Ezra sentit son pouls augmenter tout à coup, comme s'il se passait quelque chose d'intense en son âme pendant qu'il savourait la beauté, qu'il trouvait chaque seconde toujours plus surnaturelle, d'Aria. Le jeune homme rapprocha son tabouret de celui de sa voisine, et reprit alors la conversation :

- Tu as déjà écris un peu ?

- Oh euh non... j'ai essayé, mais ça n'a jamais vraiment aboutis en fait, je me bloque, je n'trouve pas de sujets qui me passionnent assez pour en faire quelque chose, dit-il en entamant une petite moue. Toi par contre, je suis sûr que tu as du talent contrairement à s'que tu dis, je sais pas, ça... se voit finit-il en détaillant le visage angélique d'Aria.

Il s'était intuitivement approché à nouveau en parlant, comme s'il était inconsciemment attirer par quelque chose, une sorte d'aimant qui faisait se rapprocher leurs deux visages. Ezra ne pensait plus vraiment à ce qu'il faisait, il était captivé par la belle du bar...

Ce moment lui paraissait parfait, comme s'il avait été organisé par une force supérieure. Le bar ne puait plus, seul le parfum de la jeune femme l'enivrait, seul la perfection de ses traits l'hypnotisait, et seul le désir de prendre ses lèvres hantait son esprit. Le barman s'était isolé dans la réserve avec un sandwich, et personne d'autre ne se trouvait dans ce bar. Ezra prit conscience de la distance quasi inexistante entre leurs bouches respectives, mais il n'en était étrangement pas gêné, juste... tenté.

- Je pense que... j'adorerais... en effet, murmura-t-il en esquissant un sourire.

La petite radio, elle continuait son monologue musical :
So you tell yourself, that's enough for now
Happiness has a violent roar

Le jeune homme sentait à nouveau son pouls redoubler d'intensité, comme un signe, un ordre de son corps d'agir. Comme soumis à ses requêtes, mais toujours légèrement maître de lui-même, il chuchota :

- Es-ce que...

Look for it, but you'll never find it all
Let it go, live your life and leave it

Finalement, sa question lui parut totalement obsolète, et il prit les lèvres d'Aria avec une tendresse, mélangée à une douce folie qui rendit le baiser des plus unique...